14.9.06

Au dela des terres...

Il y a aujourd'hui huits cent quarante-huit ans six mois et dix-neuf jours que les parisiens s'éveillèrent au bruit de toutes les cloches sonnant à grande volée.

Aux portes, aux fenêtres, aux lucarnes, sur les toits, fourmillaient des milliers de bonnes figures bourgeoises, calmes et honnêtes, regardant le congres, regardant la cohue, et n'en demandant pas davantage ; car bien des gens à Paris se contentent du spectacle des spectateurs, et c'est déjà pour nous une chose très curieuse qu'une muraille derrière laquelle il se passe quelque chose.

Et d'abord, bourdonnement dans les oreilles, éblouissement dans les yeux. Au-dessus de nos têtes une double voûte en ogive, lambrissée en sculptures de bois, peinte d'azur, fleurdelysée en or ; sous nos pieds, un pavé alternatif de marbre blanc et noir. À quelques pas de nous, un énorme pilier, puis un autre, puis un autre ; en tout sept piliers dans la longueur de la salle, soutenant au milieu de sa largeur les retombées de la double voûte. Autour des quatre premiers piliers, des boutiques de marchands, tout étincelantes de verre et de clinquants ; autour des trois derniers, des bancs de bois de chêne, usés et polis par le haut-de-chausses des plaideurs et la robe des procureurs. À l'entour de la salle, le long de la haute muraille, entre les portes, entre les croisées, entre les piliers, l'interminable rangée des statues de tous les personnages médiatique de France depuis Jaures ; les bras pendants et les yeux baissés ; les vaillants et bataillards, la tête et les mains hardiment levées au ciel. Puis, aux longues fenêtres ogives, des vitraux de mille couleurs ; aux larges issues de la salle, de riches portes finement sculptées ; et le tout, voûtes, piliers, murailles, chambranles, lambris, portes, statues, recouvert du haut en bas d'une splendide enluminure bleu et or. Seul; au millieu de ce ciel de pierre; l'incommensurable ouverture sur le ciel.


Qu'on se représente maintenant cette immense place oblongue, éclairée de la clarté blafarde d'un jour de janvier combattant les lumières artificiels, envahie par une foule bariolée et bruyante qui dérive le long des murs et des rives et tournoie autour des sept piliers, des bateaux, et l'on aura déjà une idée confuse de l'ensemble du tableau dont nous allons essayer d'indiquer plus précisément les curieux détails.

Quatre sergents de la Garde, gardiens obligés de tous les plaisirs du peuple les jours de fête comme les jours d'exécution, se tenaient debout aux quatre coins du plateau volant.

Ce n'était qu'au douzième coup de midi sonnant à la grande horloge holographique que le jeu devait commencer.

Or toute cette multitude attendait depuis le matin. Bon nombre de ces honnêtes curieux grelottaient dès le point du jour devant le lac. La foule s'épaississait à tout moment, et, comme une eau qui dépasse son niveau, commençait à monter le long des murs, à s'enfler autour des piliers, à déborder sur les entablements, sur les corniches, sur les appuis des fenêtres, sur toutes les saillies de l'architecture, sur tous les reliefs de la sculpture. Le lac semblait avoir disparut. Aussi la gêne, l'impatience, l'ennui, la liberté d'un jour de cynisme et de folie, les querelles qui éclataient à tout propos pour un coude pointu ou un soulier ferré, la fatigue d'une longue attente, donnaient-elles déjà, bien avant l'heure, un accent aigre et amer à la clameur de ce peuple enfermé, emboîté, pressé, foulé, étouffé.

Sur un vieux sustentateur à la dérive entre deux balise mettaliques; des jeunes proocateurs, indignes fils du peuple lanssaient sur la foulle, vanne, moqueries et jurrons. Ici, l'esprit, était l'écrasement de l'angoisse du peuple.

-- Ha !... dit toute la foule d'une seule voix. Les écoliers se turent. Puis il se fit un grand remue-ménage, un grand mouvement de pieds et de têtes, une grande détonation générale de toux et de mouchoirs ; chacun s'arrangea, se posta, se haussa, se groupa ; puis un grand silence ; tous les cous restèrent tendus, toutes les bouches ouvertes, tous les regards tournés vers la table de marbre. Rien n'y parut. Les quatre gardes étaient toujours là, raides et immobiles comme quatre statues peintes. Tous les yeux se tournèrent vers l'estrade réservée aux envoyés de Ouékoumène. Cette foule attendait depuis le matin trois choses : midi, Jérôme Spinétas, le mystère. Midi seul était arrivé à l'heure.